La Voix

30/04/08



Ce n’était pas seulement de pierre que la grande voix était pétrie mais à quantité noble et égale d’eau et de vent, de bois rouge et de ces légers fils de lin pâle que l’on nomme aussi paille de lune et qui incisent le coeur des cavaliers fous qui se hasardent là-haut, près, trop près de la demeure de nos pères.

En son établissement elle était la grande voix, comme un ballant d’ocre sur la frange d’une aube neuve qui ne pourrait totalement, encore, se séparer de la nuit.

D’où son halètement, ce certain cognement que l’on dit être de coeur et qui ne pouvait bien être que de cailloux roulant et s’empêtrant de vent et d’eau.

D’où aussi ce suintement de mesure dans l’aigre du silence comme de plume à l’aile du condor raclant un tiers d’espace et les autres de temps…




Jean Thiercelin

in " Lettre à un ami indien "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



J’ai dit cétoine parce que la cétoine est cet insecte d’or vert qui gît au coeur de la rose, parce que j’ai porté un jour l’orvet au poing, la main refermée sur tous les vents alizés, rose des vents et mort d’or, l’escarboucle aux rayons verts sur fond mordoré de l’orvet, de l’or vert de l’amour d’or.

J’ai dit cétoine parce que si l’on pose comme prémisse que ce mot sert à désigner à la fois ta présence et ton absence rutilantes, l’insecte luxueux est le coeur même de la fleur qu’il dévore, le sexe même de la rose au centre de laquelle il gît. Ainsi la cétoine est la pierre de l’anneau de Gygès, gage de notre parfaite invisibilité dans l’amour.

Au coeur de la rose pourpre, notre mort d’or vert…repose, foudroyée.




Claude Tarnaud



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Absente

28/04/08



Vous pouvez toujours tenter de me nommer mais, autant être franche, vous ne pourrez jamais me nommer, car je suis absente au sommet de l’absence. Toi qui me connais le mieux, tu ne sais rien de moi; non pas que je dissimule, mais tout me dissimule. Je suis de la vulgarité pénétrante des fleuves qui ne connaissent pas les fétus qu’on leur jette, qui ne savent pas la saveur mâle des galets qu’ils roulent en eux. Ils sont sourds et aveugles, sans bras et sans jambes; ils sont muets, même.




Danielle Sarréra

in " L’Ostiaque "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Le mot oiseau n’a rien de décourageant et cependant il y a des oiseaux qui ne volent pas.

……………………..

Comme un oiseau de verre j’ai rencontré une femme très nue.

……………………..

Plumage est plus loin qu’on ne croit fleur de peau est très mystérieuse.

……………………..

Tant de chemins et tant de fourmilières et puis ta voix comme les gouttes d’eau sur l’aile d’un oiseau.




Jehan Mayoux

in " Au crible de la nuit "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



éclat reflet échappé du miroir

point invisible à part le temps

sans parcours

sans jaillissement

comme sans rayonnement



reflet noir en plein miroir

infini noir en plein miroir

reflet levé projeté d’éclats



le lieu-point ébloui par le miroir

en un lieu instantané où il faut pénétrer

un lieu mouvant extrêmement proche et

lointain à la fois



un point de convergence obscure

d’une incroyable fulgurance



de l’univers et de l’esprit infinis

de l’infini extérieur à l’espace interne…




Roger Méyère

in " Double poésie d’elle-même "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



L’oeil humain est un soleil à l’image du monde. A la ligne d’horizon du sommeil, tiré d’un trait comme une flèche du coma de l’arc en ciel, droit au coeur des choses sensibles, ton regard perce le jour qui point dans la nuit des temps.

Les bords du tableau fondent et s’enchaînent au coeur de mon dernier instant: le présent.

Au point du jour et de la suie, ton regard s’arrête et tu demeures entre les eaux. La pluie siège et tu es au demeurant – mais tu fais corps avec la mer et tes yeux passent entre les perles, tes yeux restent comme deux gouttes d’eau…




Stanislas Rodanski 1948





Portrait de Léon Veintraub par Jacques Hérold

Posted in: Archives by admin | Comments (0)



C’est spontanément que vous survolez

du haut de la conscience extérieure…

Vous n’imitez la mort qu’en vous y mirant

et demeurez longtemps semblables

à votre premier rendez-vous avec elle

Aussi est-ce de très loin

que vous vous regardez résister à l’invisible

comme ces nappes d’eau

toujours à l’horizon d’elles-mêmes

qui ne se souviennent que de leur transparence

Et sans doute connaissez-vous

à travers le Chaos l’exact chemin

qui serpente à la limite des deux mondes

de l’illusoire dont vous gardez l’empreinte

au spectacle libre et agile que vous donne la mort…




René Nelli

in " Point de langage "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Cheval marin…

23/04/08



Perdue dans les couleurs de l’Atlantide qui se fondent l’une l’autre, illimitables. Poissons de velours, poissons d’organdi aux crocs de dentelle, poissons de taffetas pailleté, poissons de soie, de plumes, poissons-chats, poissons aux flancs laqués, aux yeux de cristal de roche, poissons de cuir desséché avec leurs yeux de groseilles – des yeux pareils au blanc d’un ?uf. Fleurs palpitantes sur leur tige comme c?urs de mer. Pas un qui sente son propre poids, et ce cheval marin se mouvant telle une plume…

………………..

Je me réveillai à l’aube, jetée sur un rocher – squelette d’un navire étranglé par sa propre voilure.



Anaïs Nin

in " La demeure de l’inceste "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

L’oeil

22/04/08



L’?il seul est spatial. Les autres sens sont temporels.




Novalis



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Je connais des étoiles qui ouvrent des sillons sinueux autour d’une solitude étale

des étoiles qui planent comme la mouette au-dessus d’un océan d’amertume

des étoiles qui glissent sur la soie de soirs de fête jusqu’à la brisure du miroir

des étoiles qui reviennent après une longue absence prendre leur place au coeur du brasier

des étoiles qui emportent le malheur au loin pour l’ensevelir dans des charniers obscurs…

…..

je connais aussi une étoile saignante

dans son étau bleu

dont les reflets de douleur m’éclaboussent

chaque fois que le jour meurt.




Roland Giguère



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Le gréement de la nuitée bruissante

Crève la voûte des lenteurs…




Elie-Charles Flamand



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Partir

19/04/08



Partir.

Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-

panthères, je serais un homme-juif

un homme-cafre

un homme-hindou-de-Calcutta

un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas



l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture

on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer

de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir

de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne

un homme-juif

un homme-pogrom

un chiot

un mendigot



mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la

face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait

dans sa soupière un crâne de Hottentot?




Aimé Césaire

Extrait de " Cahier d’un retour au pays natal "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Le Coeur-Espace

19/04/08



…Je ne me souviens plus du nom de ces étoiles lasses dans le ciel.

Depuis longtemps pour moi les cieux coupeurs de têtes sont morts.

Le vent m’apporte cette nuit un bruit de pas sur des plages,

Avènement obscur d’un dernier feu.

– Des ruines du rivage est monté le froid, et dans les miroirs

La terre déforme le visage glacé que les femmes tendent au bout des piques de plein vent.

……………

Je ne me souviens plus,

Et le jardin pourtant au fond de l’année s’ouvre encore,

Les grilles ne savent plus crier.

Je n’ai pas oublié le terrible silence des jardins.



Yves Bonnefoy

in " Anti-Platon "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

J’ai marché toute la nuit. Des armées de moi-même ont marché. Des colonnes de basalte ont traversé les soleils mourants. Les chemins de la nuit se sont refermés comme des livres.

…………..

Les questions marchaient en se tenant par la main, comme des aveugles.

Les questions marchaient sur le bord étroit de la nuit.

…………..

Un berger traversa la ville avec son troupeau. Un berger au manteau de verdure et de silence.




Maurice Blanchard

in " La Hauteur des murs "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Caresse

17/04/08



Je me suis prise à caresser

la mer qui hume les orages.




Paul Eluard



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Tes mains de morte

Marie sans nom

Joins-les aux nôtres

Que j’en sente encore la chaleur

Comme d’une lampe voilée par l’éclat de sa propre lumière



Car nous sommes exilés comme toi

Loin de notre réalité visible

Et invisible

Qui s’ouvre comme une châtaigne sur la braise

Pour s’envoler

Au premier souffle du printemps



Tandis que tu redescends

Pensivement

L’escalier qui conduit à l’illusoire chemin de ronde…




Jean Louis Bédouin – 1968-



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Ô Tout…

14/04/08



Ô tout de mon tout – ô mon ouïe, ô ma vue,

Ô ma totalité, ma composition et mes parts !

Ô Tout de mon tout – tout de toutes choses, énigme équivoque,

C’est le tout de Ton tout que j’obscurcis en voulant T’exprimer !

Ô Toi, à qui mon esprit s’était suspendu, déjà mourant d’extase…




Al Hallâj



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Ars poetica

13/04/08



…Un poème doit être sans mots

Comme le vol des oiseaux.

Un poème doit être immobile dans le temps

Lorsque monte la lune,

Et laisser, lorsque la lune délivre

Brindille à brindille les arbres enchevêtrés dans la nuit,

Laisser, lorsque la lune abandonne derrière l’hiver,

Souvenir à souvenir l’esprit.

Un poème doit être immobile dans le temps

Lorsque la lune monte…




Archibald MacLeish



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



" Magnanime, fils de Tydée, pourquoi me demander quelle est ma naissance ? Comme naissent les feuilles, ainsi font les hommes. Les feuilles, tour à tour, c’est le vent qui les épand sur le sol, et la forêt verdoyante qui les fait naître, quand se lèvent les jours du printemps. Ainsi les hommes : une génération naît à l’instant même où une autre s’efface. "




Homère

in " L’Iliade " – Livre VI – Réplique de Glaucos à Diomède.



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Pour l’ornement de qui les bouches

Des roses s’ouvrent sur un discours langoureux;

Et de la grâce de qui les arbres du ciel

Apprennent leur blanche stature…




Kenneth Patchen



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Tu verras la prêtresse inspirée qui, sous sa roche profonde, chante les destinées et qui sur des feuilles d’arbres inscrit des lettres et des mots. Tous les vers prophétiques que la vierge a tracés sur ces feuilles sont disposés en ordre et restent enfermés dans son antre. Ils y demeurent immobiles, et l’ordre n’en est jamais troublé. Mais que la porte s’ouvre et que du seuil un souffle d’air chasse et disperse cette légère frondaison, elle les laisse voltiger dans sa caverne et ne se soucie point de les reprendre, de les ranger, d’en réunir les vers épars.




Virgile

in " Enéide " – Livre III – Hellenus à Enée.





Peinture de Michel Angelo datant de 1510

"La Justice, la Vierge, revient demeure avec nous et le règne de Saturne est restauré. Le premier-né du nouvel âge est déjà sur le chemin qui mène des hauts cieux jusqu’ici-bas."

Prédiction de la Sibylle de Cumes

Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Océan

09/04/08



Sur ce rivage vieux, le vulgaire océan

Roule sans bruit, sans bruit, tel un oiseau sans poids

Qui sur son nid va se poser, mais jamais ne se pose.

Aile après aile se déploie sans jamais être une aile

Et serres sur la grève sans arrêt grattent le galet, le galet futile,

Le galet en rumeur qu’enfin entraînent les eaux…




Wallace Stevens



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Nature

08/04/08



Et jusqu’à l’infini, les herbes rigides ou languissantes dans les champs,

Et dessous les fourmis brunes dans leurs petites murailles

Et la croûte moussue où se cache le ver, les pierres amoncelées, la molène et la morelle en grappes.




Walt Whitman



in " Specimen Days "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

L’enfant

07/04/08



Si l’enfant est souvent artiste, il n’est pas
un artiste. Car son talent le possède, et lui ne le possède pas.



André Malraux

in " Les voix du silence "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



…De bas en haut, contemple l’air trompeur;

C’est qu’à tes pieds le lac est plat; son miroir

Ne peut te faire mal, et cependant

Les oiseaux dans le ciel tracent, là-haut,

Les cercles de l’immense solitude.




Howard Moss



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Jeu de barres

05/04/08

………………………

Que firent les petits enfants

la dernière fois qu’on crucifia le Christ ?

Ils se cachèrent tous sous une guirlande de mûrier

et ne cessèrent de se surveiller.

C’est qu’ils jouaient au jeu de barres,

et comme face à face les camps s’épiaient,

ceci seul importait vraiment :

qui serait pris, qui pourrait prendre les autres

avant que fût sombre le soir,

avant que fût sombre la terre, et sombre l’air.




Daniel G. Hoffman

in " Incubus "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Arbre

04/04/08



Je marche d’un pas lent sur les hautes murailles de défense et je regarde fixement

Les fondations d’une maison ou cet endroit

Dont l’arbre, comme un doigt couvert de suie, s’élève en naissant de la terre.




William Butler Yeats



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

La vision

03/04/08



Oui, il était là, son tableau. Il était là, avec tous ses verts et ses bleus, ses zébrures perpendiculaires et latérales, son effort pour réaliser quelque chose. On l’accrochera au mur d’une mansarde, songea-t-elle, il sera détruit, mais qu’importe, se dit-elle, reprenant son pinceau. Elle regarda les marches, elles étaient vides; elle regarda sa toile, elle devenait confuse. Avec une intensité soudaine comme si, l’espace d’une seconde, elle l’apercevait avec clarté, elle traça un trait là, au centre. C’était fait; c’était fini. Oui, songea-t-elle, reposant son pinceau avec une lassitude extrême, j’ai eu ma vision.




Virginia Woolf

in " La promenade au phare "



Posted in: Archives by admin | Comments (0)



Vois comme ces étoiles marchent au ciel appuyées sur leur bâton

De vieille lumière; avec quelle simplicité cet azur

Porte l’éternité dans la calme grotte de Dieu, où César

Et Socrate, comme deux primitives peintures sur un mur

Regardent, de leurs yeux niais, l’univers où nous sommes.

………………………

Doucement comme le sommeil d’une fleur, amour,

Le vent herbeux avance sur la prairie émue de la nuit:

Vois comme les grands yeux en bois de la forêt

Regardent l’architecture de notre innocence.

…………………………

T’es-tu demandé pourquoi toutes les fenêtres étaient brisées au ciel ?

As-tu vu les sans-gîte dans la main de Dieu, tombe ouverte ?

Veux-tu apprendre aux alouettes la sotte musique de la guerre ?

………………………


Kenneth Patchen



Posted in: Archives by admin | Comments (0)

Le calumet

01/04/08



Quand on bourre un calumet, tout l’espace (représenté par les offrandes aux Pouvoirs des Six Directions) et toutes les choses (représentées par les grains de tabac) sont comprimés en un seul point (le fourneau ou coeur du calumet), en sorte que le calumet contient, ou
est réellement, l’univers.

Mais étant l’univers, le calumet est aussi l’homme, et celui qui bourre un calumet doit s’identifier à ce dernier, établissant ainsi non seulement le centre de l’univers, mais encore son propre centre; il se "dilate" au point que les six directions de l’espace ont, en fait, leur origine en lui-même. C’est par cette "dilatation" qu’un homme cesse d’être une partie, un fragment, et devient totalité, ou sainteté; il fait éclater l’illusion d’un état d’isolement.




Elan Noir Chef Sioux Oglala – 1863-1950



Posted in: Archives by admin | Comments (0)
FireStats icon Contenu créé par FireStats