Le rôle du poète n’est-il pas de donner la vie à ce qui se tait dans l’homme et dans les choses, puis de se perdre au cœur de la Parole ?
Cette parole qu’un peuple d’ombres se transmet d’une rive à l’autre du temps, il semble qu’une seule voix sans fin la porte et la profère.
Elle seule, dépositaire d’un monde de secrets, tire de notre absence une longue mémoire, dessine dans l’espace la figure de l’Homme et prête à nos hasards la forme d’un destin…
Mais peut-être, au-delà d’elle-même, si nous prêtons l’oreille avec plus de ferveur, pourrons-nous percevoir l’écho de ce qui n’a même plus de nom dans aucune langue
Les paroles alors, qu’elles soient transparentes ou opaques, humbles ou chamarrées d’images, ne contiendront pas plus de sens qu’un souffle sans visage qui résonnerait pour lui-même sur les débris d’un temple ou dans un champ superbement désert depuis toujours ignoré des humains.
Ainsi, qu’il laisse un nom ou devienne anonyme, qu’il ajoute un terme au langage ou qu’il s’éteigne dans un soupir, de toute façon le poète disparaît, trahi par son propre murmure et rien ne reste après lui qu’une voix – sans personne.

Jean Tardieu

in  » Une voix sans personne « 

 


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Spires

12/10/12

Isoler le chaman
(l’inchacra de l’orient)
pour entrer dans l’encoche,
et voir,
entre deux spires d’un même enroulement
l’entrée de l’orient suivant

 

Patrick Wateau

in  » Skléros « 


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L’arbre

10/10/12

C’est l’heure où l’on voit l’arbre
comme sur une toile

du moment qu’on regarde
on ne peut se passer de bien
regarder. C’est où passe
l’enchantement sans nom

, où il n’y a rien à faire, de
l’autre côté d’un rouge

l’arbre se charge du monde

Israël Eliraz

in  » et tout cela pour dire ose « 


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Moi, papillon entré
dans la chambre de la vie humaine,
je laisserai le paraphe de ma poussière
sur les fenêtres austères, signature de prisonnier,
sur les vitres sévères du destin.
Si triste et si grise
la tapisserie faite de vie humaine !
J’ai déjà effacé ma lueur bleue d’incendie,
les dentelles de points,
la tempête bleue de mon aile, première fraîcheur,
Le pollen est envolé, les ailes sont fanées et
sont devenues transparentes et rigides,
Je frappe fatigué à la fenêtre de l’homme.
Les nombres éternels frappent de là-bas,
comme la voix du pays natal, le nombre appelle
à revenir aux nombres.

 

Vélimir Khlebnikov

in «   Zanguezi « 


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Gare morte…

04/10/12

Préfecture déchue, gare morte, les rails
Ne se partagent plus entre eux
L’inconnu quotidien

À froid on les abandonna
Sous des ordures d’air

Faux départs jusqu’au jour
Du vide final sur la voie

Sauf le dico qui sait
Que le rail a une âme ?

(ex-terminus)

Marcel Migozzi

in  » Cité aux entrailles sans fruits « 


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Sans feu ni lieu j’arrive
au bout de ce voyage
Ne me demandez rien
je n’ai pas de bagages
Simplement je regarde
tout seul obstinément
du côté de la mer
où s’est close l’étoile
Ni barque ni rivage
Les feux sont presque éteints
Quelques lueurs encore
d’enfance ici et là
Mais plus de fiançailles
Le point se fait petit
La porte se referme
L’oiseau du dernier vol
dans l’espace d’automne
s’éloigne sans un cri

Georges Haldas

in  » Un grain de blé dans l’eau profonde « 


 

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Le Livre unique

01/10/12

J’ai vu les noirs Védas

Le Coran, l’Évangile,

Les livres des Mongols

Dans leur gaine de soie,

Où se mêlent la poussière des steppes

Et l’odeur forte du crottin,

Faire un bûcher

Comme les Kalmouks à l’aube,

Et s’y étendre –

De blanches veuves disparurent dans un nuage de fumée,

Pour hâter la venue

Du livre Unique,

Dont les pages sont de grandes mers,

Frémissant de leurs ailes de papillons bleus…

 

Vélimir Khlebnikov

in  » La création verbale « 

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