Tantôt

31/12/08



Où il y a l’attente, longtemps, et sans retour, où il y a dire, et puis ne plus pouvoir dire, où il y a écouter et puis ne plus pouvoir écouter, où il y a regard et puis tenter de regarder encore, et sans retour. C’est un chant, et malgré la douleur, il n’y a rien d’orphique, c’est un chant sans retour. Chaque mot creuse, là où il est pour un instant, là où il est, même dans l’absence.




Jacques Ancet

in " Rien n’avait changé mais rien n’était plus comme avant "



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C’est par ici, par les couloirs magiques de la nuit que reviennent vivants les morts bien-aimés, la grand-mère de Proust ou mon père, les villes perdues, Oran, Osnabrück, plus belles que jamais dans la distance où le rêve les retient, c’est ici que les aveugles luttent en s’échangeant, es-tu moi? es-tu mon frère? Ici même c’est l’autre monde, on y est sans effort, en fermant les portes des yeux. Ici, chez le Rêve, la mort devient ce qu’elle est : une séparation seulement presque interminable, interrompue par des retrouvailles brèves et extatiques, dans une rame de métro ou dans un train. Les voix s’échappent du silence. Ici même c’est l’autre musique. Écoutez ! Sommes-nous dehors? Sommes-nous dedans? Vous rêvez. Continuez à vous laisser rêver. Il n’y aura pas de fin.




Hélène Cixous



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Ces quais de Bruges, combien, dans ma pensive jeunesse, je les ai suivis, confessés, aimés, – avec des coins que j’étais seul à connaître, à consoler, avec des maisons dont les vitres mortes me regardaient !



Et, dans la prison des quais de pierre, l’eau stagnante des canaux où ne passent plus de navires, ni de barques, où rien ne se reflète que l’immobilité des pignons dont les arches décalquées ont l’air d’escaliers de crêpe qui conduisent jusqu’au fond. Et sur les eaux inanimées, des balcons en surplomb, des rampes de bois, des grilles de jardins incultes, des portes mystérieuses, toute une enfilade de choses confuses et déjetées qui sont accroupies au bord de l’eau, avec des airs de mendier, sous des haillons de feuillage et de lierre qui s’effilochent…



Georges Rodenbach



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Les hirondelles fendent l?air

et les cieux ne se fissurent pas

le lac reflète les nuages

et l?eau ne se trouble pas



Fugitivement nous troublons

par notre passage le temps

et la sphère bientôt se reforme

limpide et ne change pas



Lala Romano

in " Jeune est le temps "



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L?automne sait-il qu?il n?est pas le printemps

Dans la merveilleuse lenteur des choses avant la chute

Quand l?herbe est très verte et la lumière poudrée d?or

et les champs inondés piègent les oiseaux du ciel



Vivre entre les bords du temps comme dans une coupe

où la feuille sèche et courbée comme une voile

Est le fragile bateau d?une fleur de mai

Qui sait en quelle direction souffle le vent



Heather Dohollau

in " Les Portes d?en bas "



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Le chat

25/12/08



Demain, hier n?ont plus de sens face au chat immobile.

La corneille crie toujours, comme s?il ne l?entendait pas.

Seule frémit la pointe de ses oreilles.

Couché dans l?ombre, il est l?image du présent. Il vibre.

Il vibre entre deux éclats : on y est, on n?y est pas.

On y entre, on est perdu.



Jacques Ancet

in " Diptyque avec une ombre "



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Voix

23/12/08



…On a besoin d’un peu de vie de confusion de brouhaha

sinon dans le vide et le calme

dans la poussière des années



on pourrait entendre distinctement une voix très ancienne

dont on croyait avoir perdu le son

une voix égarée et pourtant restée là



prise dans l’absence et dans l’oubli

la voix de ce mort qu’on aima

parlant tout seul au bord du temps

au bord des larmes.



Claude Roy

in " Le noir de l’aube "



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Une Pierre

22/12/08



Il se souvient

De quand deux mains terrestres attiraient

Sa tête, la pressaient

sur des genoux de chaleur éternelle.



Étale le désir ces jours, parmi ses rêves,

Silencieux le peu de houle de sa vie,

Les doigts illuminés gardaient clos ses yeux.



Mais le soleil du soir, la barque des morts,

Touchait la vitre, et demandait rivage.





Yves Bonnefoy

in " Les Planches courbes "



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Paroi

20/12/08



Nulle brèche sur la paroi du jour. Nulle fenêtre d?osmose où commencer l?amour? Dehors est un ovale intact, impérissable ?uf de plomb décomposé sur nos sols. Et il y a la surface intérieure, paysage rentré sous nos arches de sang. La mer et la montagne s?évaporaient lentement dans la brume. Devant pesait le vase sans périple du temps.

Si la jeunesse était le chemin sous la peau de cette veine qui revient, évasifs, d?un doigt parmi nos spirales sanguines, nous réinventerions le jour, et ses fêtes rétractiles sous l?arbre du dedans.



Gabrielle Althen

in " Noria "



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L?infini, en nous, n?est-ce pas la langue, en ses combinatoires et ses virtualités, telle qu?à travers elle nous nous tenons face au fini et y décelons de l?infini : un en-deçà, un au-delà, un avers, une opacité et un inconnaissable. A la fois réponse infinie de la langue au réel infini et sollicitation par la langue même de cette infinité.




Jean-Michel Maulpoix

in " Le poète perplexe "



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Dôme

19/12/08



Un chemin mène à l?horizon merveilleusement teint de collines. Le pays rayonne sous l?ornière. Je vois des lampes bleues et noires, ce sont des pierres qu?un feu bouge, le soir, quand le pas creuse encore l?avenue. Et je sais la rumeur qui augmente le ciel, j?entends le chant patient de l?éveillé; et l?invisible entre deux pierres, le long d?un vent est un visage. Ce qui vient, vient brisé, et le pas tente un pas de rêve, brûlé comme le nôtre, ouvrant l?abîme nuitamment, dans la passion de l?éternel.




Béatrice Douvre

in " Le Temps franchi "



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Le cri

17/12/08



j?ai vu passer une à une

les heures de la nuit :

plus légères qu?un rêve,

elles allaient en lunes claires?

Le silence ne cachait pas

qu?il avait au ventre un cri




Evelyne Boix-Moles

in " Demain il sera trop tard "



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le passeur

17/12/08



…Vers le mot terre

peu de mots restent

creuser les mots



froid, soif, feu



sol

d?un silence

près des mains



Du passeur

reste l?écriture penchée du corps

qui affouille le silence




Jean Gabriel Cosculluela

in " Buée "



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Saisir

15/12/08



Recueillir le grain des heures

Étreindre l?étincelle

Ravir un paysage

Absorber l?hiver avec le rire

Dissoudre les noeuds du chagrin

S?imprégner d?un visage

Moissonner à voix basse

Flamber pour un mot tendre

Embrasser la ville et ses reflux

Écouter l?océan en toutes choses

Entendre les sierras du silence

Transcrire la mémoire des miséricordieux

Relire un poème qui avive

Saisir chaque maillon d?amitié




Andrée Chedid

in " Par delà les mots "



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Certaine sauterelle orangée visite à la venvole un grand aubifoin des montagnes.



– Tant de beauté (dôme d?azur, escarpements pour chèvres à sonnailles, sous-bois moussus, plateaux flattés de bise, épicéas fûtant droit au ciel), tant de bonheur est-il pour satisfaire une soif de possession, le goût impérieux du bien-être ? Pareille félicité, on soupirerait à la garder toute…




Henri Pichette

in " Dents de lait dents de loup "



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L’arbre mort

14/12/08



Dépouillé l’arbre

sera sans ombre

pur signe noir

dans la lumière



alphabet du silence précédé

de la mort flamboyante des feuilles…



Marie-Florence Ehret

in " Plus vite que la musique "



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…Neige de l’être

Qui fond

Où les couleurs affleurent



Errements de l’?il

Sur les pentes du visible

Bleu du ciel



Se posant dans un souffle

Sur le corps de la beauté…




Heather Dohollau

in " Pages aquarellées "





tableau de Cézanne

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Patience

11/12/08



Les yeux à peine clos dans la nuit

la plante boit la lumière

à nos yeux invisible



Sa pensée est sa patience

et patients le soleil l?air et l?eau

en leurs attouchements fulgurants

pour elle l?amour est temps non perçu

veine fondue dans le bloc d’ombre…




Claire Malroux

in " Ni si lointain "



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C?est comme un feu mais sans feu, sans futur ni passé,

le corps est si léger qu?il semble flotter sur les

heures arrêtées, dans l?étincellement du matin,

je l?appelle le présent, ce feu, il est partout,

il est insaisissable, la main se tend, ne touche

qu?un vide qui lui ressemble, une sorte d?ombre claire,

l?envers des choses qui s?effacent et qui jaillissent,

dessinent sur les yeux le leurre de leur présence,

je sais qu?elles ne sont pas et pourtant je prononce

leur nom, ce souffle d?air qui les fait durer un peu

le temps de croire que plus que moi elles demeurent

peuplant l?espace que je traverse et que je laisse,

table, dis-je, voilier, pins, genoux, eucalyptus……..




Jacques Ancet



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Un citadin

07/12/08



Je regarde souvent la rue où je vais comme si

J’avais depuis longtemps quitté l’émouvante surface

Du monde pour l’autre côté sans fond qui nous efface

Un jour ou l’autre sans retour mais libres de souci.



Je m’applique assez bien à ce délicat exercice

Pour que très vite mon regard cesse d’appartenir

A l’amas nuageux d’espérance et de souvenir

Auquel j’aurai donné mon nom.




Jacques Réda

in " La course "



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Arbres d’hiver

06/12/08



Les lavis bleus de l?aube se diluent doucement.

Posé sur son buvard de brume

Chaque arbre est un dessin d?herbier ?

Mémoire accroissant cercle à cercle

Une série d?alliances.



Sylvia Plath





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Au petit jour

05/12/08



La nuit n’est pas ce que l’on croit, revers du feu,

chute du jour et négation de la lumière,

mais subterfuge fait pour nous ouvrir les yeux

sur ce qui reste irrévélé tant qu’on l’éclaire .



Les zélés serviteurs du visible éloignés,

sous le feuillage des ténèbres est établie

la demeure de la violette, le dernier

refuge de celui qui vieillit sans patrie?




Philippe Jaccottet

in " l’Ignorant "



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Ardoise

04/12/08



Tu gardes en toi

le sceau des fougères et des prêles,

le calque des écorces, étant

paume ouverte du temps

mémoire des ruches de la vie

où bourdonne encore en nos doigts

l’enfance des reptiles




Jacques Lacarrière

in " Lapidaire "



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Dénuement

03/12/08



N?ayant plus de maison ni logis

Plus de chambre où me mettre,

Je me suis fabriqué une fenêtre

Sans rien autour.




Armen Lubin

in " Les hautes terrasses "



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Il semble que les miroirs, avec leur puissance d?illusion, plus que tout autre objet, nous donnent l?idée du temps, autant dire celle d?une profonde immobilité, d?un chemin que nous sentons clos quoiqu?il soit infini, sous nos yeux. Nous regardons la flamme, et
nous ne pensons pas qu?elle n?est plus celle que nous avons regardée un instant auparavant.



Leonardo Sinisgalli

in " Horror vacui "

les mots en italiques sont de Léonard de Vinci



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L’air

02/12/08



L?air a sa vie à lui.

Et qu?à personne il n?est donné

de bien saisir.

Il vit de sa vie bleue

de vent. qui naît au ras des yeux

et court à l?infini.




Joseph Brodsky



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