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Meta
Peur
31/01/09
Quand un poisson des grandes profondeurs, devenu fou, nage anxieusement vers les poissons de sa famille à six cents mètres de fond, les heurte, les éveille, les aborde l’un après l’autre :
"Tu n’entends pas de l’eau qui coule, toi ?"
"Et ici on n’entend rien ?"
"Vous n’entendez pas quelque chose qui fait ?tche??, non plus doux : ?tchii, tchii??"
"Faites attention, ne remuez pas, on va l’entendre de nouveau"
Oh Peur, Maître atroce !
Le loup a peur du violon. L’éléphant a peur des souris, des porcs, des pétards. Et l’agouti tremble en dormant.
Henri Michaux
in " La nuit remue "
Vie
29/01/09
Omniprésente, imperturbable
Est la vie dont surgit la mort.
Il ne faut pas de plainte, il ne faut nulle plainte
Puisque les seigles ondulent près des ruines…
Seamus Heaney
Les échappés…
28/01/09
"Si lourds
si lourds
si mornes leurs monuments
si empires, si quadrilatères
si écraseurs barbares, si vociférants,
et nous si nénuphar
si épis dans le vent
si loin du cortège
si mal dans la cérémonie
si peu de notre âge et tellement toujours à la promenade?"
Henri Michaux
in " Iniji "
Métamorphoses
26/01/09
…Si nous étions les buis d’une divinité
sculptés avec tendresse, au ciseau doux ?
Le sombre à l’intérieur de nous
sortirait en feuilles minimes
serrées
d’odeur profonde…
Marie-Claire Bancquart
in " Avec la mort quartier d’orange entre les dents "
Ce matin…
23/01/09
Ce matin est plein de brume
Où des oiseaux se mêlent à des feuilles
Des oiseaux froids se suivent
À peine si l’on distingue
Tant c’est l’aube
Leurs jeux du peu de nuit
Restée au sol d’automne
Les troncs penchent
Où nous avions marché
Par degré dans l’eau de la lumière
Comme un corps enchevêtré qui a mémoire
Et le temps pour ?uvre.
Béatrice Douvre
Ou alors…
22/01/09
Je marchais
le long d’un mur
ou alors
c’était mon ombre
ou alors le mur
était l’ombre ou alors
la nuit était un mur
qui avançait avec moi
ou alors
un pas de rêve que
nous rêvions ensemble
à hauteur d’ombre
nous tombions
tombions
ensemble
Rose Ausländer
in " revue If, numéro 27 "
Noir
19/01/09
Ce noir, travaille-le
à l’empêtre à la pâte
tisonne-le dans l’être,
chauffe-le à blanc,
qu’il te dénude,
assèche peut-être,
il te rendra la vue…
Charles Dobzynski
L’air était si doux…
16/01/09
L?air était si doux ce matin qu?on aurait pu s?y appuyer
On entendait à peine la respiration lointaine des oiseaux
Seulement le bruit léger des vêtements qu?on froisse et
Le passé ce brouillard de l?âme tirait vers la mélancolie …
Alain Duault
in " Où quelque chose a frémi "
La croisée des chemins
15/01/09
À la croisée des chemins entre brande et lande
Entre yin et yang au premier souffle bleu
Prescience des gentianes à la jonction des
Joncs et des aulnes au jaunissement sacré
Du feuillage intérieur là où l’esprit se tapisse
Au frémir de l’aubier au premier râle dans
L’eau cloque où le martin-pêcheur émigre
Du cristal au crépitement du temps au grelot
de la neige là où de rien commence
La mutation l’indéchiffrable au goût
De menthe fraîche.
Charles Dobzynski
in " Le Réel d’à côté "
La matière
14/01/09
la matière des sons
leur texture m’est offerte
m’est ouverte
leur texture jusqu’à la torture
étrangement manipulés
m’éprouvant,
les sons innombrables qui me disjoignent
autrement me joignent,
m’unifient, s’unifient
Enveloppements ! Envahissement
Soie dans les fibrillations
Henri Michaux
in " Face à ce qui se dérobe "
Un son de mains…
13/01/09
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence. C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
Alejandra Pizarnik
in " l’Arbre de Diane "
Mon piano
12/01/09
J?approche. Il est prêt.
Je souffre. Il fait le chant.
J?apporte l?obsession, la gêne, l?oppression :
Il fait le chant
J?apporte la situation sans remède, le vain déploiement des efforts, le ratage de tout avec la mesquinerie, les précautions emportées par le vent, par le feu, par le feu, par le feu surtout :
Il fait le chant.
J?apporte l?inondation de sang, le braiment des ânes contre la paix, les camps, le travail forcé, la misère, les emprisonnés de la famille, les choses à demi, les amours à demi, les élans à demi et moins qu?à demi, les vaches maigres, les hôpitaux, les interrogatoires de police, les lents mourants dans les bleds perdu, les amers vivants, les foutus, ceux qui dérivent avec moi sur la banquise folle :
Il fait le chant.
Henri Michaux
in " Passages "
des riens…
10/01/09
La poésie construite avec peu de matière, avec des feuilles, avec des grains de sable, avec de l?air, avec des riens…
Joseph Joubert
Les trois cercles
09/01/09
J’aurai vu. J’aurai saisi, à force, les trois cercles : le commun, le propre et celui de l’arcane. J’aurai su le désir et le vide.
Parfois, trop proche de comprendre, j’aurai baisé les lèvres de l’abîme.
Quelques chances m’auront sauvé. Il me faudra beaucoup d’esprit, à la dernière passe, pour rire de l’infime chemin parcouru.
Franck André Jamme
in " Par les trous du manteau de l’apparence é
Crépuscule
09/01/09
Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeur de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le c?ur de l’homme aux heures solennelles de la vie.
Charles Baudelaire
in " Le Spleen de Paris, petits poèmes en prose "
Ce soir
06/01/09
D?oubli éphémère est ce soir.
Il me narre l?histoire que j?ai perdue.
La pluie est lasse comme cette main,
retournée immobile sur la page blanche.
Vertige qui oppresse, et stridence, comme
un grincement de dents, stridence, corde
qui sublimement vague, ce soir désaccordée,
avec l?harmonie du Tout…
Rita R. Florit
Une femme…
05/01/09
une femme elle reste à la fenêtre elle ne se jette pas par-dessus bord elle n’ouvre pas elle regarde la vitre ou quelque chose dehors derrière la vitre on n’en sait rien elle ne dit rien de ce qu’elle voit est-ce qu’elle voit seulement et puis son front il est collé ça fait de la buée sur cette vitre qui la sépare du monde…
Albane Gellé
in " un bruit de verre en elle "
Ardoise
04/01/09
Tu gardes en toi
le sceau des fougères et des prêles,
le calque des écorces, étant
paume ouverte du temps
mémoire des ruches de la vie
où bourdonne encore en nos doigts
l’enfance des reptiles.
Jacques Lacarrière
in " Lapidaire "
Ton nom…
03/01/09
Ton nom – un oiseau dans la main,
Ton nom – sur la langue un glaçon.
Un seul mouvement de lèvres.
Quatre lettres….
…
Ton nom – le baiser sur les yeux,
Sur le tendre froid des paupières.
Ton nom – le baiser sur la neige.
Gorgée d’eau bleue qui sourd, glaciale,
Avec ton nom – le sommeil est profond.
Marina Tsvétaïeva
in " Poèmes à Blok "
Principe
02/01/09
Le centre de la joie
comme principe
de toute gravité…
André Ughetto
in " Rues de la Forêt Belle "
Lézarde entre deux nuits
01/01/09
Les ajoncs, la pierraille au sursis de l’hiver,
Haute ruine aux lambeaux de songe,
Tous les siècles de l’obscur dans le vent,
La vallée, le grand pays familier et désert.
Le couple né de ces granits, de ces racines,
Et moi qui porte au fond des mots, au fond du sang
Je ne sais quel appel, je ne sais quel écho
De ce passage de serfs et de guerriers,
De vagabonds, de paysans et de rois,
D’enfances tenaces et terrifiées,
L’effrayante ou miraculeuse saveur
D’une lézarde entre deux nuits.
Georges-Emmanuel Clancier
in " Terres de Mémoire "