Mots-valises

11/10/06

…Au lieu de séparer les consonnes et de les rendre prononçables, on dirait que la voyelle réduite au signe mou rend les consonnes indissociables en les mouillant, les laisse illisibles et même imprononçables, mais en fait autant de cris actifs dans un souffle continu. Les cris ensemble sont soudés dans le souffle, comme les consonnes dans le signe qui mouille, comme les poissons dans la masse de la mer, ou les os dans le sang pour le corps sans organes. Signe de feu aussi bien, onde "qui hésite entre le gaz et l’eau", disait Artaud : les cris sont autant de crépitements dans le souffle.

Quand Antonin Artaud dit dans son Jabberwocky : "Jusque là où la rourghe est à rouarghe à rangmbde et rangmbde à rouarghambde", il s’agit d’activer, d’insuffler, de mouiller ou de faire flamber le mot pour qu’il devienne l’action d’un corps sans parties, au lieu de la passion d’un organisme morcelé. Il s’agit de faire du mot un consolidé de consonnes, un indécomposable de consonnes, avec des signes mous. Dans ce langage on peut toujours trouver des équivalents de mots-valises. Pour le "rourghe" et "rouarghe", Artaud lui-même indique ruée, roue, route, règle, route à régler (on y joindra le Rouergue, pays de Rodez où Artaud se trouvait)….




Gilles Deleuze

(in "Logique du sens" )



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