Lumière

09/02/07

Je me suis occupé hier soir d’un terrain boisé un peu en pente couvert de feuilles de hêtres vermoulues et sèches. Le sol était d’un rouge-brun tantôt plus clair et tantôt plus sombre, à cause, plus encore, des ombres portées des arbres qui y jetaient des lignes, tantôt plus faibles, tantôt plus fortes, à moitié effacées.

Il s’agissait, et j’ai constaté que c’était fort difficile, d’obtenir la profondeur du coloris, l’énorme force et la fermeté de ce terrain, et pourtant ce n’est qu’en peignant que je me suis rendu seulement compte combien il y avait encore de clarté dans cette obscurité. Il s’agit de conserver la clarté, et de conserver en même temps l’ardeur et la profondeur de cette teinte riche.

Car on ne peut imaginer un tapis aussi admirable, que ce rouge-brun profond dans l’ardeur d’un soleil de crépuscule d’automne tempéré par les branches.

De ce sol surgissent de jeunes hêtres, qui prennent de la lumière d’un côté, y sont d’un vert étincelant, et le côté ombré de ces troncs est d’un vert noir chaud et puissant.

Derrière ces petits troncs, derrière ce sol brun-rouge il y a un ciel, très fin, bleu-gris, chaud, presque pas bleu, étincelant. Et en-dessous il y a un bord nébuleux de verdure et une résille de petits troncs et de fleurs jaunâtres. Quelques figures de chercheurs de bois y errent comme des masses sombres d’ombres mystérieuses…

Je te décris la nature…

J’ai bien eu de la peine à la peindre…

J’ai été frappé de voir combien ces petits troncs tiennent solidement dans le sol. Je les ai commencés au pinceau, mais à cause du sol déjà empâté – un coup de pinceau fondait comme rien, c’est alors que, pinçant le tube, j’en ai fait sortir les racines et les troncs – et je les ai quelque peu remodelés avec le pinceau…

Dans un certain sens, je suis content de ne pas avoir appris à peindre. Peut-être que j’aurais appris à laisser passer inaperçus des effets de ce genre…

Je ne sais moi-même comment je le peins…

mais pourtant je vois dans mon oeuvre un écho de ce qui m’a frappé, je vois que la nature m’a raconté quelque chose, m’a parlé, et que je l’ai noté en sténographie…




Vincent Van Gogh

in " Lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo "



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