Ad’dahma

21/01/08



..L’Ecrasante…Elevée graduellement vers le promontoire abrupt qui surplombe la contrée des Hauts Plateaux couverts de forêts, au sol et au sous-sol en émoi depuis les prospections romaines et les convois de blé acheminés par les Gênois pour finir impayés dans les silos du Directoire, Constantine était implantée dans son site monumental, dont elle se détachait encore par ses lumières pâlissantes, serrées comme des guêpes prêtes à décoller des alvéoles du rocher sans attendre l’ordre solaire qui téléguide leur vol ausitôt dissipé,- insoupçonnable promontoire en son repaire végétal, nid de guêpes désertique et grouillant, enfoui dans la structure du terrain, avec ses tuiles, ses catacombes, son aqueduc, ses loges, ses gradins, son ombre d’amphithéâtre de toutes parts ouvert et barricadé,- le roc, l’énorme roc trois fois éventré par le torrent infatigable qui s’enfonçait en battements sonores, creusant obstinément le triple enfer de sa force perdue, hors de son lit toujours défait, sans assez de longévité pour parvenir à son sépulcre de blocs bouleversés : cimetière en déroute où le torrent n’était jamais venu rendre l’âme, ranimé bien plus haut en cascades inextinguibles, sombrées à flanc d’entonnoir, seules visibles des deux ponts jetés sur le Koudia, du ravin où l’oued n’était plus qu’un bruit de chute répercuté dans la succession des gouffres, bruit d’eaux sauvages que ne contenait nulle chaudière et nul bassin, bruissement sourd sans fin, sans origine, couvrant le grondement acharné de la machine dont la vitesse décroissait cependant, traversant des restes de verdure, prairies encore interdites au cheptel, irradiées sous la légère croûte de gel, fourrés de figuiers nus et difformes, de caroubiers, de ceps en désuétude, d’orangeraies rectilignes, détachements de grenadiers, d’acacias, de noyers, ravines de néfliers et de chênes jusqu’aux approches du chaos brumeux et massif,- le roc, sa solitude assiégée par la broussaille, l’énorme roc et l’hiver finissant dans ses replis âpres et irrités…Sidi Mabrouk..




Kateb Yacine

in " Nedjma "



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