Le point

27/01/10

Je m’arrête : il y a un point à ma promenade comme à une phrase que l’on a finie.

C’est le titre d’une tombe à mes pieds, à ce détour où le chemin descend. De là je

prends ma dernière vue de la terre, j’envisage le pays des morts. Avec ses bouquets

de pins et d’oliviers, il se disperse et s’épand au milieu des profondes moissons qui

l’entourent. Tout est consommé dans la plénitude. Cérès a embrassé Proserpine.

Tout étouffe l’issue, tout trace la limite. Je retrouve, droit au pied, des monts

immuables, la grande raie du fleuve ; je constate notre frontière ; j’endure ceci.

Mon absence est configurée par cette île bondée de morts et dévorée de moissons.

Seul debout parmi le peuple enterré et mes pieds entre les noms proférés par

l’herbe, je guette cette ouverture de la Terre où le vent doux, comme un chien

sans voix, continue depuis deux jours d’entrer l’énorme nuage qu’il a détaché

derrière moi des Eaux. C’est fini ; le jour est bien fini ; il n’y a plus qu’à se retourner

et à remesurer le chemin qui me rattache à la maison. À cette halte où s’arrêtent

les porteurs de bières et de baquets, je regarde longuement derrière moi la route

jaune qui va des vivants chez les morts et que termine, comme un feu qui brûle

mal, un point rouge dans le ciel bouché.


Paul Claudel


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