Il me vient à l?esprit quelques phrases que je vous livre :



Jacques Derrida appelle " mise en scène ".. " toutes les scènes de repentir, d?aveu, de pardon ou d?excuses qui se multiplient sur la scène géopolitique depuis la dernière guerre et de façon accélérée depuis quelques années ? ".

Or, c?est à la faveur de ces mises en scène que se diffuse de façon non critique le langage abrahamique du pardon. Qu?en est-il de " l?espace théâtral " sur lequel se joue " la grande scène de repentance " ? Qu?en est-il de cette

" théâtralité " ? Il me semble que l?on peut soupçonner ici un phénomène d?abus comparable à ceux maintes fois dénoncés (dans cet ouvrage), qu?il s?agisse du présumé devoir de mémoire ou de l?ère de la commémoration :

" Mais le simulacre, le rituel automatique, l?hypocrisie, le calcul ou la singerie se sont mis de la partie, et s?invitent en parasites à cette cérémonie de la culpabilité. " En fait, il s?agit d?un même et unique complexe d?abus.

Mais abus de quoi ? Si l?on dit, avec Derrida encore, qu?il y a " une urgence universelle de la mémoire ", et qu? "il faut se tourner vers le passé ", la question se pose inéluctablement d?une inscription de cette nécessité morale dans l?histoire. Derrida en convient quand il demande, à juste titre, que cet acte de mémoire, d?auto-accusation, de " repentance ", de comparution, soit porté " à la fois au-delà de l?instance politique et de l?Etat-nation ". La question est alors grave de savoir si une marge d?au-delà du juridique et du politique se laisse identifier au c?ur de l?un et l?autre régime, bref, si le simulacre peut singer des gestes authentiques, voire des institutions légitimes. Que la notion de crime contre l?humanité reste à cet égard « à l?horizon de toute la géopolitique du pardon ", c?est sans doute l?ultime épreuve de cette vaste mise en question. Pour ma part, je reformulerai le problème en ces termes : s?il y a pardon, au moins au niveau de l?hymne ?de l?hymne abrahamique, si l?on veut, y a-t-il du pardon pour nous ? Du pardon, au sens partitif de la préposition.

Ou bien faut-il dire, avec Derrida : " A chaque fois que le pardon est au service d?une finalité, fût-elle noble et spirituelle (rachat ou rédemption, réconciliation, salut), à chaque fois qu?il tend à rétablir une normalité (sociale, nationale, politique, psychologique) par un travail du deuil, par quelque thérapie ou écologie de la mémoire, alors le " pardon " n?est pas pur, ni son concept. Le pardon n?est, il ne devrait être ni normal, ni normatif, ni normalisant. Il devrait rester exceptionnel et extraordinaire, à l?épreuve de l?impossible : comme s?il interrompait le courant ordinaire de la temporalité historique. "

C?est cette " épreuve de l?impossible " qu?il faut (?) affronter.




Paul Ricoeur – « La mémoire, l?Histoire , l?Oubli »



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